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Le rêve permet l’expression verbale


René Descartes était un mathématicien, physicien et philosophe français du XVIIe siècle, il est d’ailleurs l’un des fondateurs de la philosophie moderne. Cet homme puisait dans ses songes pour créer ses œuvres, il a notamment rédigé Discours de la Méthode à partir de trois de ses rêves. Il les a écrit et les a gardé précieusement jusqu’à sa mort car il les prendra au sérieux tout au long de sa vie.

Adrien Baillet, son biographe, raconte les trois rêves qu’a fait le philosophe en Novembre 1619 lorsqu’il était soldat dans les troupes du duc de Bavière : « Après s’être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentèrent à lui, et qui l’épouvantèrent de telle sorte que, croyant marcher par les rues, il était obligé de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer au lieu où il voulait aller, parce qu’il sentait une grande faiblesse au côté droit dont il ne pouvait se soutenir. Etant honteux de marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser : mais il sentit un vent impétueux qui l’emportant dans une espèce de tourbillon lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas encore ce qui l’épouvanta. La difficulté qu’il avait de se traîner faisait qu’il croyait tomber à chaque pas, jusqu’à ce qu’ayant aperçu un collège ouvert sur son chemin, il entra dedans pour y trouver une retraite, et un remède à son mal. Il tâcha de gagner l’église du collège, où sa première pensée était d’aller faire sa prière ; mais s’étant aperçu qu’il avait passé un homme de sa connaissance sans le saluer, il voulut retourner sur ses pas, et il fut repoussé avec violence par le vent qui soufflait contre l’église.
Dans le même temps il vit au milieu de la cour du collège une autre personne, qui l’appela par son nom, et lui dit que, s’il voulait aller trouver Monsieur N, il avait quelque chose à lui donner. Descartes s’imagina que c’était un melon qu’on avait apporté de quelque pays étranger Mais ce qui le surprit davantage, fut de voir que ceux qui se rassemblaient avec cette personne autour de lui pour s’entretenir, étaient droits et fermes sur leurs pieds : quoiqu’il fût toujours courbé et chancelant sur le même terrain, et que le vent qui avait pensé le renverser plusieurs fois eût beaucoup diminué.

Il se réveilla sur cette imagination et il sentit à l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’aurait voulu séduire. Aussitôt il se retourna sur le côté droit, car c’était sur le gauche qu’il s’était endormi, et qu’il avait eu le songe. Il fit une prière à Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de son songe. Il se rendormit, après un intervalle de près de deux heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde. Il lui vint aussitôt un nouveau songe, dans lequel il crut entendre un bruit aigu et éclatant, qu’il prit pour un coup de tonnerre. La frayeur qu’il en eut le réveilla ; et ayant ouvert les yeux, il aperçut beaucoup d’étincelles de feu répandues par la chambre. La chose lui était déjà souvent arrivée en d’autres temps : et il ne lui était pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la nuit d’avoir les yeux assez étincelants, pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui. Mais en cette dernière occasion il voulut recourir à des raisons prises de la philosophie : et il en tira des conclusions favorables pour son esprit, après avoir observé en ouvrant, puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des espèces qui lui étaient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa, et il se rendormit dans un assez grand calme.

Un moment après, il eut un troisième songe, qui n’eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier, il trouva un livre sur sa table, sans savoir qui l’y avait mis. Il l’ouvrit, et voyant que c’était un dictionnaire, il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourrait lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main. Il trouva que c’était un recueil des poésies de différents auteurs, intitulé « Corpus Poëtarum ». Il eut la curiosité d’y vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre, il tomba sur le vers « Quod vitoe sectabor iter ? (Quel chemin suivrai-je dans la vie ?) Au même moment il aperçût un homme qu’il ne connaissait pas, mais qui lui présenta une pièce de vers, commençant par est et non, et qui la lui vante comme une pièce excellente. M Descartes lui dit qu’il savait ce que c’était, et que cette pièce était parmi les idylles d’Ausone qui se trouvait dans le gros recueil des poètes qui était sur sa table. Il voulut la montrer lui même à cEt homme : et il se mit à feuilleter le livre dont il se vantait de connaître parfaitement l’ordre et l’économie. Pendant qu’il cherchait l’endroit, l’homme lui demanda où il avait pris ce livre, et M Descartes lui répondit qu’il ne pouvait lui dire comment il l’avait eu : mais qu’un moment auparavant il en avait manié encore un autre qui venait de disparaître, sans savoir qui le lui avait apporté, ni qui le lui avait repris. Il n’avait pas achevé, qu’il revit paraître le livre à l’autre bout de la table. Mais il trouva que ce dictionnaire n’était plus entier comme il l’avait vu la première fois.
Cependant il en vint aux poésies d’Ausone dans le recueil des poètes qu’il feuilletait : et ne pouvant trouver la pièce qui commence par est et non, il dit à cet homme qu’il en connaissait une du même poète encore plus belle que celle là, et qu’elle commençait par « Quod vitae sectabor iter » ? La personne le pria de la lui montrer, et M Descartes se mettait en devoir de la chercher, lors qu’il tomba sur divers petits portraits gravez en taille douce : ce qui lui fit dire que ce livre était fort beau, mais qu’il n’était pas de la même impression que celui qu’il connaissait. Il en était là, lors que les livres et l’homme disparurent, et s’effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller.

Ce qu’il y a de singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c’était un songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le sommeil le quittât. Il jugea que le dictionnaire ne voulait dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble : et que le recueil de poésies intitulé corpus poëtarum, marquait en particulier et d’une manière plus distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne croyait pas qu’on dût s’étonner si fort de voir que les poètes, même ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves, plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des philosophes. Il attribuait cette merveille à la divinité de l’enthousiasme, et à la force de l’imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se trouvent dans l’esprit de tous les hommes comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de brillant même, que ne peut faire la raison dans les philosophes. M Descartes continuant d’interpréter son songe dans le sommeil, estimait que la pièce de vers sur l’incertitude du genre de vie qu’on doit choisir (…) marquait le bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale. Là dessus, doutant s’il rêvait ou s’il méditait, il se réveilla sans émotion : et continua les yeux ouverts, l’interprétation de son songe sur la même idée. »

Freud, qui a analysé les rêves du philosophe, dans son oeuvre La nuit de songes de René Descartes, dit par rapport au premier de ces songes que « les entraves qui empêchent Descartes de se mouvoir avec liberté nous sont absolument connues : c’est la confirmation par le rêve d’un conflit intérieur. Le côté gauche est la représentation du mal et du péché, et le vent, celle du mauvais génie. Pour ce qui est du melon, le rêveur a eu l’idée originale de figurer de la sorte les charmes de la solitude. Ce n’est certainement pas exact mais ce pourrait être une association d’idées qui mènerait sur la voie d’une explication exacte. En corrélation avec son état de péché, cette association pourrait figurer une représentation sexuelle qui a occupé l’imagination du jeune solitaire. » Le second rêve servirait de transition avec le troisième. Durant ce dernier, le philosophe doutait entre réalité ou songe, mais il a décidé qu’il s’agissait d’un songe durant son rêve et a commencé à l’interpréter avant même de se réveiller et d’être véritablement conscient. Ainsi, « il jugea que le dictionnaire ne voulait dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble et que le recueil de poésies (…) marquait en particulier et d’une manière plus distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. (…) M.Descartes continuant d’interpréter son songe dans le sommeil, estimait que la pièce de vers sur l’incertitude du genre de vie qu’on doit choisir, et qui commence par ’’quod vitae sectabor iter ?’’, marquait le bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale », d’après Mohamed Chéguenni, l’auteur de l’article analyse et interprétation des rêves. Ainsi, ce dernier songe est particulièrement important pour le philosophe car « il puisera dans ces songes venus d’en haut l’impulsion qui guidera toute sa recherche et les fondements d’une science admirable » et « il y verra une injonction claire à dédier son existence à la recherche de la vérité scientifique. Et c’est ainsi qu’il vivra » d’après Jennifer Gallé, l’auteur de l’article Je rêve donc je suis. Il marque donc à la fois un genre de renaissance : le retour de son esprit dans son corps physique sur terre ; ainsi que l’élaboration de la voie qu’il va suivre à l’avenir.

Ces rêves ont donc joué un rôle essentiel dans la vie de Descartes ainsi que dans sa façon de penser. Un paradoxe apparaît alors car Descartes est connu pour sa philosophie rationnelle, appelée cartésienne en rapport avec son nom. Une personne cartésienne est une personne qui fait preuve de rigueur ainsi que de méthode. Ainsi, c’est en s’inspirant du chaos de sa vie nocturne qu’il a trouvé « la détermination à mener à bien l’une des plus ambitieuses aventures de l’esprit humain ». Ainsi, les songes de Descartes lui ont permis la parole car c’est grâce à eux qu’il a su comment rédiger ses œuvres, comment penser et chercher. Et c’est en les publiant, et en devenant symbole de la philosophie, que le rêve lui a permis le langage.

EN CONCLUSION :

Le rêve est parfois ce qui déclenche une envie de dire, ou d’écrire, dans le cas de Descartes étudié dans cet article.




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