Chapitre 3 Explications de Nathalie sur son rêve

Reprenons maintenant depuis le début le rêve de l’ex-copain mort sans corps. En effet, son auteur a accepté d’en approfondir le sens au cours d’une séance d’analyse. Or l’histoire que porte cette jeune-femme de vingt-et-un ans révèle bien des détails de sa création onirique.

Sa relation avec cet homme a pris fin il y a six mois, après avoir duré près de quatre années, mais en réalité le lien qui s’est défait là pour eux s’était noué bien antérieurement puisqu’ils se sont connus à l’âge d’un an ! Ils ont vécu toute leur enfance ensemble, la crèche, la maternelle, le primaire, le collège, le lycée, un peu la fac. De l’extérieur, on les disait tous les deux dans leur monde. De l’intérieur, un sentiment d’unité les englobait, ils constituaient deux parts de la même personne. Ils avaient au même moment des intuitions, des certitudes partagées en après-coup, de ces coïncidences que la notion de hasard peine à expliquer. Cette relation amoureuse n’a pas été agréable à vivre, en raison d’une forte dépendance affective, de jalousies. Son terme pressenti est resté longtemps impossible à dire. L’attachement trop fort a interdit à la relation de se poursuivre sous une autre forme. Le lien a donc été coupé brutalement, totalement.

La fin de cette relation a été caractérisée par le vide, explique la rêveuse. Tout avait été englouti dans cette fusion, il n’y avait plus rien à se dire, plus rien à partager. La nourriture qui apparaît dans le rêve comme la cause de la mort peut être ainsi comprise, si l’on ne cesse de manger, de se remplir de l’autre, à la fin on s’étouffe. Alors bien sûr il y a l’espoir de revivre quelque chose à deux, même si consciemment il faut reconnaître que c’est impossible. C’est ce sentiment qu’exprime l’image finale du rêve, le désir d’un appel sur le téléphone portable, même si cela est devenu inutile. Le lien est vide.

Cette totalité a été vécue entièrement dans les faits, dans une proximité matérielle continue, empêchant sa correcte inscription dans l’imaginaire. Toujours disponible, jamais perdu, l’objet n’a pas eu matière à son inscription dans l’ordre symbolique. Aucun objet interne n’a pu se nourrir de cette relation. Le lien existe, mais il est vide. C’est une relation sans corps. La perte du sentiment fusionnel passe dans le rêve par la mort en l’absence de corps. Comment faire le deuil de l’objet qui n’a existé que dans la réalité ? Comment accepter une perte aussi totale, sans rien pouvoir garder de l’objet perdu, sans possibilité de transformer le passé en souvenirs ?

La rupture du lien n’a pu trouver sa place que dans le réel. La relation était devenue indéplaçable, car passer d’un objet externe à un autre suppose l’existence solide d’un objet interne. La rêveuse se sait capable d’aimer un autre homme, ce n’est pas un problème d’amour, c’est un vide en elle, une crevasse laissée par cette déchirure, par cet attachement. Elle a abandonné en l’autre beaucoup d’elle-même, tous ces objets retrouvés en rêve dans la chambre du disparu, des souvenirs qui lui appartenaient à elle mais entreposés chez l’autre, que personne ne lui avait pris mais qu’elle retrouvait soudain, le temps de s’apercevoir de tout ce qui lui manquait, de tout ce qu’elle avait abandonné en dehors d’elle-même.

Comment alors redonner chair à ce psychisme meurtri ? Comment se réapproprier les éléments qui nous appartenaient et qu’on a trouvés en l’autre, par projection, sans jamais avoir eu le temps de les réimporter, de les reconnaître en nous-même ? C’est l’objet même de la thérapie, que de retrouver, dans les échanges avec le thérapeute, dans le jeu de l’analyse, ce qui avait été égaré, ou même jamais vécu. Mais la notion de fonction transcendante (que l’on présentera bientôt plus en détail), apportée par Carl Gustav Jung, ajoute à la psyché la capacité permanente de symboliser, fonction amplifiée par l’analyse évidemment, mais que l’on retrouve naturellement dans les rêves, laissant émerger les objets qui manquaient, tendant vers la totalité recherchée, une complétude intérieure toujours à retrouver, à recréer.

Chapitre 3 du Livre "A la source des rêves".

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