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Considérer ses rêves Chapitre 1


Longtemps je me suis réveillé sans rêve. Il est évidemment possible de vivre vieux sans jamais un rêve à se dire au matin. Passer les jours et les nuits n’exige en rien de reconnaître une part de soi dans ces images que certains racontent les lendemains de grands cauchemars, ou poussés par une impudeur inhabituelle, un besoin de se raconter sans le choix des représentations, comme si elles venaient d’ailleurs, d’un pays étranger où les gens vivent ainsi, on y est allés en vacances, on en commente les photographies prises un peu au hasard. Alors, autour de la machine à café, un collègue que l’on ne connaît pas très bien va soudain imposer ses souvenirs oniriques, s’emporter à décrire des scènes qui amusent, des détails qui intriguent, et dont on sent bien que l’ailleurs qu’ils révèlent se tient tranquillement là, un gobelet en plastique à la main, mélangeant son expresso avec application.

Considérer ses rêves relève d’un choix, de notre liberté de conscientiser nos actes qui, contrairement à ce que l’on suppose parfois, ne dépendent pas totalement de notre seule volonté consciente. Se laisser aller au sommeil en se promettant d’en rapporter les productions inconscientes, leur réserver toute sa concentration au réveil, relèvent de résolutions qui dépassent les capacités d’un animal. Dans cette perspective, s’intéresser à l’onirisme, c’est à la fois se distinguer de l’animal, tout en considérant cette part primitive en soi, puisque l’Homme partage avec de nombreux animaux la capacité physiologiques de produire des rêves.

A quoi servent les rêves ? Qu’importe pour l’instant, il sont là, et c’est de pouvoir les considérer qui a de l’importance. Se consacrer totalement à l’inutile, y investir toute son énergie, relève d’une faculté précieuse, indissociable de notre histoire. En témoignent les peintures rupestres, comme des restes de songes accrochés à la roche et incrustés (depuis ?) dans l’imaginaire de tout un chacun. D’ailleurs, la question de l’utilité ne se pose plus lorsque vient le moment de choisir la paroi appropriée à la forme que l’on va représenter. C’est un peu cette impression qu’a le rêveur lorsqu’il sombre dans le noir, de s’enfoncer dans sa grotte, en quête du relief adéquat pour ce qu’il a en tête. Il décore cet intérieur obscur, plaque sa main, elle laisse une trace, alors il s’aventure davantage, cherche à tâtons d’autres surfaces libres pour y déposer les motifs qui lui viennent maintenant naturellement dans le secret de son corps endormi.

Mais comment comprendre, en après-coup, la présence sous terre de ces pigments délicatement déposés partout sur la roche ? Quel sens donner aux rêves ? Comment les interpréter ? En fait, je ne suis pas certain que des réponses précises à ces questions me satisferaient en entier. Comme si, en la matière, tout savoir s’annonçait intuitivement un peu décevant, insuffisant même. Et je me laisse porter par ce renoncement momentané de l’esprit, je me détourne et observe par la fenêtre le grand chêne du voisin, il perd à chaque orage quelques branches couvertes de mousse, empiète sur le ciel, son ombre déborde de partout, chaque fois il faut bien reconnaître qu’il était là avant nous, son feuillage large fascine, il garde ses feuilles en dernier puis son ramage se dessine en plein hiver, massif, solide, je le contemple avec respect et un peu de distance, pas vraiment persuadé qu’il faille interpréter tout cela. Simplement utiliser la forme qui s’imprime en nous, se concentrer sur les résonances ressenties, les émotions, jusqu’à les oublier, se concentrer encore davantage jusqu’à devenir l’arbre qui nous fascine, agir pareillement face à un rêve sorti de nous, le scruter jusqu’à lui trouver une place en nous, plus exactement le reconnaître déjà présent, enfoui dans l’antre de notre être. Contempler l’arbre et être sa puissance, ses racines, sa cime où le vent se dévoile. Voir ses rêves comme ses viscères, s’émerveiller de notre nature.

Considérons ainsi ce rêve éveillé : « La tempête, avec de gros nuages, des bourrasques, comme un ouragan. C’est sombre, inquiétant. Un ciel noir, le ciel au-dessus de la mer, il y a un bateau, un chalutier, des pêcheurs, normalement là pour gagner leur vie, et là ils risquent leur vie. Ça tangue. Ils rangent leur matériel. L’homme à la barre dit de rentrer. Une énorme vague de dix mètres de haut approche. Ils rentrent dans le bateau. Moment d’angoisse pure. Ils se demandent s’il ne faut pas mourir. Des pêcheurs bretons, ils prient, chantent l’Ave Maria, un beau chœur d’hommes monte dans le ciel. »

Accompagnant les éléments déchaînés, ce chant, cet Ave Maria, est destiné à la grande mère, la déesse nature, objet de culte depuis le paléolithique, louée dans ce rêve par ce chœur d’hommes qui s’élève dans le ciel. Ce lien entre la Terre et le Ciel, qui passe par le chant, le souffle de ces marins, que pouvons-nous en dire ? S’en inspirer pour un tableau, une sculpture, des livres entiers. Évidemment, il y aurait matière à tout ce travail. Mais avant cela, voir simplement si ces images ne coulent pas en nous par quelque veine oubliée, ne réveillent pas quelque chose, n’agitent pas un peu de ce vide qui nous constitue et que l’on peine à nommer, peut-être l’âme ?
On peut également s’appuyer sur l’étude de la symbolique pour amplifier et affiner notre ressenti. Georges Romey, dans son dictionnaire, précise ainsi pour le symbole du bateau : « Au plus profond du sens, la barque et le bateau dénoncent toujours peu ou prou le caractère dérisoire des ambitions humaines tant qu’elles ne s’inscrivent pas dans une acceptation confiante de la destinée. »

On comprend alors mieux le cheminement de ces marins dans le rêve éveillé qui se poursuit ainsi : « La vague tombe en enrobant le bateau, comme certains surfeurs s’installent dans la vague. Le bateau prend la vitesse de cette énorme vague, qui s’écrase dans des chutes d’eau, le bateau continue de filer, les hommes ne disent rien car ils ne savent pas s’ils vont sortir du tunnel ou mourir sous la vague. Ils reprennent leur chant et oublient la vague, tous ensemble. À la limite, ils sont prêts à mourir car ils sont à un autre niveau. Le tout est d’en être conscient, de pouvoir remercier pour tous les bonheurs, penser à ceux qui sont déjà partis. Ils sont dans un autre état d’esprit... ailleurs. » L’acceptation confiante de leur destin, ces marins, en mer pour nourrir leurs familles, la trouvent dans cet ailleurs qui s’est ouvert à eux comme un ciel lorsque, unis dans ce chœur d’Hommes, ils ont retrouvé l’Ave Maria.

Ensuite, « les marins sont sortis de la vague et ils reprennent le boulot », cependant l’histoire continue avec une barque, échouée sur une plage : « Une petite fille s’approche, intriguée par la rugosité du bois, et parce que cette barque a été en mer. Elle demande à son génie, Aladin, ils ont une relation intime, il lui répond toujours oui, s’il peut l’accompagner, car elle a un peu peur de se noyer. Finalement elle a trop peur de prendre la mer, elle reste sur le sable, elle joue un peu à la dame. Il y a du soleil et le ciel est bleu, elle s’endort tranquillement car elle sait qu’Aladin est là pour la protéger. » Et l’auteur de ce rêve de préciser que, la petite fille, à la fin de ce rêve, est « là où elle a envie d’être ».

Alors que dit ce nouvel épisode ? Cette petite fille qui joue à la dame ? Pourquoi à la fois cette envie et cette angoisse de la mer alors que, avant elle, les marins ont traversé l’épreuve de la plus grosse des vagues ? C’est par ces interrogations que l’on entre dans le domaine de l’analyse, dans la recherche du sens de ces images pour le sujet. En revanche pour nous autres, cette histoire symbolique n’en conserve pas moins toute sa valeur car elle remue en nous bien des sillons qui nous sont propres certes mais que l’on retrouve chez tous. Cet arbre, le mien, celui du voisin en l’occurrence, classé par la mairie de Bergerac récemment, cet arbre qui n’appartient à personne en définitive, qui est là, devant ma fenêtre, il n’est pas utile de le connaître plus intimement pour que son image active en chacun le symbole de l’arbre majestueux. Si le rêve est la voix royale vers l’inconscient, il est aussi nourriture de l’âme.

EN CONCLUSION :

Chapitre 1 du livre Rêver pour Être.




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