Qu’est-ce qu’un symbole ? Chapitre 2

Je me suis appuyé précédemment sur un dictionnaire de la symbolique pour mieux cerner les images d’un rêve. Comment aboutir à la définition d’un symbole ? Un arbre par exemple, qu’est-ce que cela veut dire ?

Pour chacun, ce symbole aura un sens un peu particulier, en fonction de son expérience de vie. Moi, je me souviens du grand cèdre du Jardin des plantes à Paris, qui a un petit frère à Bergerac face au conservatoire de musique, aussi une image de bande-dessinée, Trondheim se croquant le regard lointain au pied d’un séquoia géant, et puis il y a ce fameux chêne qui m’observe à l’instant immobile, et encore un immense sapin tout piquant découvert en rêve éveillé, de même qu’un autre arbre imaginaire, majestueux mais coincé par la cambrure d’une rivière, attaché à ce lieu pour l’éternité.

Mais malgré les particularités de nos visions, il est difficile de ne pas leur imaginer un noyau commun, qui expliquerait par exemple cette sensation partagée de puissance face à un arbre, la reconnaissance de sa capacité à puiser dans la terre l’énergie pour s’élever dans le ciel, l’évidence de l’air partagé avec ce représentant magistral de l’harmonie entre les éléments.

La démarche habituelle consiste à rechercher dans toutes les civilisations et cultures les traces d’un symbole et d’en extraire l’essence même, celle qui révélerait non pas sa signification définitive mais celle que l’Homme lui a attribué au fur et à mesure des générations, en reflet de sa propre construction psychique à travers les siècles. Ainsi, on considère que dans l’histoire évolutive de l’Homme, sa phylogenèse, des projections se sont agglomérées sur un même symbole, créant une certaine unité entre cet élément du monde extérieur et un composant du psychisme humain. Un Homme, dans son expérience de vie, son ontogenèse, peut alors exprimer ce qui le constitue le plus profondément à travers une image symbolique, retrouvant dans le monde extérieur une représentation de sa nature primordiale.

Conservons l’exemple de l’arbre, et puisons dans l’Encyclopédie des symboles établie sous la direction de Michel Cazenave : « Avec ses racines plantées dans la terre et ses branches dirigées vers le ciel, l’arbre incarne au même titre que l’homme l’être des deux mondes et la Création qui unit le haut et le bas. » Puis les arbres sacrés des peuples anciens sont présentés, avant d’aborder la place de l’arbre dans le christianisme, dans la mythologie islamique, dans la kabbale hébraïque... Issu d’un autre travail collaboratif, Le livre des symboles note : « Les arbres et les hommes se ressemblent, avec un tronc droit, des membres longs, des doigts fins, des orteils s’agrippant au sol. Dans les mythes, les hommes se transforment souvent en arbres. Les soupirs et les larmes résineuses de l’arbre nous paraissent humains et évoquent l’endurance, l’enchevêtrement et la fixation. À l’image de notre âme, il nous semble que l’arbre abrite un esprit animateur que nous avons imaginé sous la forme d’un serpent, d’un oiseau ou d’un génie enfermé dans une bouteille enfouie sous ses racines. L’arbre nous montre comment, à partir d’une petite graine de potentiel, le moi peut se développer, centré et contenu, avec, autour de lui, d’incessants processus de métabolisme, de multiplication, de dépérissement et de régénération. »

Cette accumulation de significations proposées pour un même symbole (l’arbre comme axe du monde, l’arbre de vie, de la connaissance, la comparaison entre l’homme et l’arbre...) permet non pas de normaliser le symbole, de le limiter à une définition donnée aussi détaillée soit-elle, mais plutôt d’en approcher le fondement, ce que dévoile en l’Homme son besoin de projeter ainsi sur l’arbre ce qui l’anime dans son corps et que son esprit s’efforce de cerner. Le symbole devient ainsi le lien entre le corps et l’esprit, et donc un moyen d’observer la nature de ce lien.

En thérapie, c’est la solidité puis la souplesse de ce lien qui est travaillée. Pour exemple, le premier rêve éveillé d’une femme traversant un épisode dépressif : « Ce qui me vient c’est l’image d’un arbre. Avec l’impression qu’une hache coupe les branches. Au bout d’un moment l’arbre s’étiole. Il a beau avoir de profondes racines ça coupe plus vite que ça ne pousse. Cette hache n’est tenue par personne, une hache mécanique, qui coupe n’importe quoi. Si on la laisse faire elle peut couper toute la forêt. Je crois que c’est fini. »

Après avoir abordé même sans profondeur la symbolique de l’arbre, il est aisé de déchiffrer intuitivement cette production symbolique. L’arbre a beau avoir de profondes racines ça coupe plus vite que ça ne pousse : l’image parle, indépendamment de ce que son interprète pourra en dire, de ce qu’une définition du symbole enfermera dans des mots. C’est bien plus l’intuition que l’on a de cette image qui lui donne sens, l’émotion que l’on ressent, le sentiment d’énergies opposées qui s’annulent et étiolent l’arbre de vie. On peut aussi noter que le « ça », qui en même temps coupe et pousse, désigne l’inconscient dans la seconde topique freudienne, théorie dans laquelle les pulsions de vie s’opposent aux pulsions de mort.

Conscientiser ce qui nous anime inconsciemment est un moyen de libérer de l’énergie. En effet, le lien entre corps et esprit est transformé par toute action sur l’un ou l’autre de ces deux opposés. Permettre à l’esprit d’identifier ce qui détériore ce lien modifie ce dernier, entraîne une évolution, qui sera guérison lorsque la transformation agit dans le bon sens et pourra être ressentie.

Aussi, l’esprit conserve évidemment sa fonction pour l’analyste qui reçoit un rêve. Il permet finalement d’amplifier le rôle que joue l’intuition, en quête de possibles à travers les symboles proposés. Dans le rêve précédent, la hache prend une grande importance dans sa répétition (à trois reprises), sa participation à l’action (coupe les branches), sa description (mécanique, tenue par personne). Or Georges Romey a relevé, dans le recoupement qu’il a effectué de milliers de rêves éveillés, que souvent « la hache réactualise une séparation. Le rêveur qui fend un arbre, du faîte aux racines, d’un seul coup de cognée, reproduit sans le savoir le geste du destin qui sépara, jadis, le couple parental, soit par la mort, soit par un divorce. » Ici, l’arbre est coupé par l’arme aveugle de la mort, et la patiente associera cette image au décès de ses parents et de sa sœur dans un accident de voiture.

Chapitre 2 du livre Rêver pour être.

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